Aujourd’hui j’ai vu la violence du monde. La violence banale. Celle qui attaque en se fondant jusque dans nos os. Elle est une particule fine sans couleur. Elle ne se sent pas, elle s’infiltre, agresse, ronge, écrase et laisse des paquets d’humain.es courbé.es ou visage veineux de haine.
J’ai voulu faire mes courses dans un discount.
À la sortie du magasin, un homme étranger s’est fait jeter au sol, soulevé par le monde de l’argent et éclaté sur le bitume du rejet.
Il ne parlait pas la langue. Il criait pour s’expliquer. Il semblait têtu, borné pour se faire comprendre. Borné à se faire écouter par d’autres hommes.
Face à lui le responsable des misères, indifférent.
L’étranger ne pourra plus faire ses courses.
L’homme pleure parfois. Il n’a plus que ça puisqu’on ne l’entend plus.
Un interprète essaye de relier les mondes. Il se dit disponible au responsable pour traduire la langue de l’étranger.
Le responsable est responsable. Il ne veut pas le voir. Écouter ne l’intéresse pas.
Il a sa boutique lui. Il a des choses importantes à faire, lui. Il est au-dessus, lui. Il est mieux car on lui a dit. Il n’a pas à écouter.
L’écoute c’est pour les pauvres qui ont le temps. C’est à dire personne.
J’ai finis par rentrer dans le temple car j’ai faim. C’est les règles pour manger.
Je voulais pas. Je voulais pas. je voulais pas. Je voulais pas. je voulais pas.
Quand on a plus le choix c’est ce qui nous reste.
Je suis rentrée.
Les produits touchent le plafond, les prix sont immenses, bien gros, ils nous appellent. Entre ces murs des fourmies qui grattent les étagères pour manger elles aussi.
Du monde. Des dos courbés. Des visages fermés. De la douleur fermentée.
Parfois un immense chariot noir tiré par un employé arrive pour faire déborder encore plus les murs. Alors on s’écrase sur les étagères pour laisser passer le chariot comme on laisse passer un corbillard.
Ça sent le vivant qui meure.
Ça sent la survie.
Ça sent la violence.
Toute les trente secondes, on appelle le responsable car il est responsable de notre procession.
La sécurité nous regarde. Elle nous sécurise en nous faisant peur. C’est son travail. C’est normal.
Je me perds, je ne trouve rien.
Des prix gros, des grands rayons. Des choses à acheter. Des prix énormes. De l’achat, de quoi remplir de l »estomac pour remplir encore plus des rayons. Des bips et des cadis qui s’entrechoquent, qui roulent, des bips, des gens, encore des bips.
Je veux partir.
J’ai faim.
Je prends des choses aux prix écrits gros. J’esquive les autres, les cadis et les chariots.
Arrivée en caisse
Le caissier a été mit dans sa cage en PVC transparent.
Il se protège de nous comme on se protège de lui. Il sourit. Ça grince quand il essaye… Au moins il a essayé…
Ça se révolte encore dehors. L’étranger s’acharne toujours. C’est peut être le seul ici qui n’a pas abandonné.
Ça crie en caisse. La cliente veut son argent.
Ça insulte dans la cage du caissier parce que sa responsable doit l’éduquer.
Ça râle en caisse car on est près de la sortie. Nous sommes pressés de finir notre procession.
On a toustes accompli notre mission.
On a mal comme dans normal…
…
Derrière moi un enfant.
Assis dans son landeau. Il s’en fou.
Il me sourit.
Il s’amuse avec mon long manteau, ça le fait rigoler les froufrous. Puis il tire la ceinture sur le côté des caisses qui sert à fermer l’accès à la queue. Ça le fait marrer nos barrières. Il rigole fort.
Sa mère me regarde pour excuser son enfant qui fait du bruit.
Les adultes, ça finit par vouloir s’excuser de tout ce qui fait vivre… pour pas déranger.
Je sors…
Épuisée…
L’étranger se fait jeter violemment une seconde fois au sol.
Il jure.
Lui ne reviendra plus.
La semaine prochaine je reviendrais.
Je ne dirais rien.
J’aurais faim.