Je me demande combien de temps il me reste avant que l’épuisement ultime enlève à mon corps sa capacité à respirer. Chaque jour est une frappe plus ou moins grande qui m’abat au sol. Je n’ai rien à dire. Elle me plaque en prenant mes deux mains, mes deux jambes pour ne plus que je bouge. Je sens ma capacité à me régénérer, à exister à nouveau, à trouver des chemins neufs disparaître de secondes en secondes. J’ai de la fatigue, de l’immense fatigue, accumulée à force de respirer de l’air pollué. Ça n’est pas du désespoir car le désespoir suppose l’espoir et je n’en ai jamais eu.
Je suis celle qui dans le noir a trouvé de quoi murmurer. J’ai trouvé sous la torture de l’existence quelque part dans la poussière de quoi jouer, sourire et rire. La douleur s’atténue quand on sourit c’est connu. Le grand proverbe des gens qui vivent…
De toute mes balades en dehors de ma boite j’ai ressenti la fatigue, l’épuisement sourd qui venait froisser mes os. Chaque pas était de plus en plus court, ma respiration s’accélérait. Je devenais l’effort. Les paysages se détruisaient sous les bombes.
Je ne veux plus de l’humain qui est en moi. Je cherche l’humaine qui se balade. Elle est terrifiée car le monde ne veut pas d’elle. Le monde lui crache dessus. Le monde lui dit qu’elle est une erreur. Le monde lui dit qu’elle est un problème à résoudre. Elle ne sort plus. Elle ne veut plus. Elle tremble.
J’ai beau l’appeler, lui dire que les coups ne sont que des rumeurs. Elle ne croit plus à mes mensonges. Elle a apposé sur le monde un non définitif.
Quand je l’aperçois parfois quand elle sort de sa chambre, de plus en plus courbée. Elle me regarde avec ces yeux embuée de larme et me dit :
« Quand on regarde ma vie. Mes malheurs sont banals, ils n’ont rien d’extraordinaire. Ils ont ce bruns des bleus vieillis. Invisibles, ils font partit de notre quotidien. Dans la rue personne ne les remarque car nous les portons toustes au cou, aux bras, aux côtes. Ce sont les bleus de l’existence. On se les fait entre nous pour s’assurer qu’on a les même. Ce sont nos brassards, nos croix-gammées de reconnaissance sociale. Nous les brandissons en histoire, fiers d’affirmer que c’est normal d’avoir mal. Pire, nous les oublions pour mieux frapper et faire les même à celleux qui n’ont pas les même teinte. Ensuite, nous formons des pays pour crier nos hymnes de massacre national.
Les miens de bleus sont minimes. Ils ne font pas plus que la taille qu’un gros poing. Ces petits bleus c’est déjà trop. Je n’en veux pas. J’hurle au moindre petit choc. Ça m’éclate les nerfs et me dynamite la cervelle. J’ai bien aussi des vieilles entailles… c’est devenu des habitudes, comme de bons ami.es qu’on connait bien. Je regarde leur couleurs et je ne les retrouvent pas dans les panels de pays qu’on m’a dit de rejoindre. Je sais par contre qu’aujourd’hui je suis en prison pour vivre. Je suis assignée malade mental. Je suis assignée par ma biologie, ma psychologie, par le monde des hommes, par la recherche à être une attardée, une ratée, une moins que rien, une affaiblie. Exister me coûte, respirer me demande un effort, m’exprimer m’arrache la gorge et les doigts. C’est ce qui forme mes bleus par petite attaque, claque après claque. Essoufflement après essoufflement…
Ma volonté n’y peut rien. Elle est une pointe de roche qui tente de se dresser face au courant. C’est une roche poreuse qui s’érode dans toute les unités de temps. On ne peut pas se battre contre toute les molécules du monde.
Si je croise un.e semblable, le silence prend ma gorge avant mes mots. Comment parler de ce qui ne s’accède pas? Comment donner des indications tandis que les cartes personnelles sont écrites par des charlatans ou des sourds? Qui veut de la bile ? Même l’oreille la plus fine se lasse d’écouter la même mélodie. Pourquoi chanter si le public écoute d’une oreille éphémère?
…
Peut-être qu’il me reste l’observation méticuleuse des bleus. Je peux regarder comment chaque veine a sauté ou comment le sang à explosé sous ma peau. puis je peux en parler. En parler encore, encore et encore à qui veut bien m’entendre. Jusqu’à ce que chaque molécule soit dévoilée.
Peut-être que c’est ça la solution … : mon témoignage futile le temps que les étoiles nous avalent… je pourrais décrire chaque guerre à la moindre coupure.
Cette humanité qui a retenue un minuscule millième de pourcentage de son histoire… je pourrais peut-être aider un minuscule millionième de pourcentage de l’histoire de ces humain.es à moins avoir mal…
Et parmi ce minuscule millionième de pourcentage d’humain.e, un.e ridicule milliardième de ces humain.es ne comprendra pas…
Et parmi ce milliardième d’humain.nes qui ne comprendra pas, un ou deux écouteront le cri de celleux à terre. Et Iels comprendront et témoigneront aussi. Et trois ou quatre les écouteront aussi, puis cinq ou six et enfin tout un autre monde. Car c’est comme ça qu’on évolue.
J’ai donc à crier car ce monde fait chier.
J’ai à prendre tout l’air de la terre pour une toute petite seconde et faire trembler les immeubles gris, fades et moches de toute les sociétés en criant de toute mes forces.
Je veux leur dire que nous sommes des déchets qui en produisons d’autres.
Je veux qu’on entende le cri des oubliés, des disparus, des fantômes de l’inutile.
Je veux jouer l’instrument du cœur pour faire vibrer les cordes sensibles des autres qui n’ont, comme moi, que ça.
J’ai envie de créer un brouahah qui se transforme en chant, en une mélodie douce qui dépassera les geignement des hommes qui se battent.
Je veux dire une bonne fois pour toute
Aller vous faire foutre.
Je vais me recoucher.
J’ai à rêver. »