croisière


Je comprends lentement les implications du terme grandir. Longtemps je me suis sentie indifférente à la lente putréfaction de mon corps. Mon passage sur cette terre me semblait qu’un lointain phénomène aussi banal qu’un bulletin météo. Pour moi, vivre était une contrainte comme une autre dans laquelle l’attente serait longue et souvent désagréable. Je me suis sentie patiente avec l’existence et un peu usée. Dire que ma vie était un Long suicide n’est pas exact. Je dirais plutôt qu’elle était et est encore un peu aujourd’hui un ennui de ce monde  et de ses mécanismes basiques.
  La connaissance de ma finalité a supprimée pendant longtemps toute velléité d’existence réduisant par un cynique « a quoi bon » toute tentative de direction dans le spectre des choses possibles. Je pense même que ma vie se résumait en un immense soupir silencieux poussé des heures entières sans respirer.

Ses dernières années je crois avoir évoluée. Du gris que je voyais tout le temps des couleurs sont apparues dans mon champ de vision. La noirceur absurde du monde m’a fait voir des monts colorés qui, comme de petites libellules, venaient scintiller ci et là dans un paysage emplie de suie.

J’ai pu vivre de mon propre cœur des sourires infinis qui m’ont fait comprendre la douceur que peut-être mon voyage parmi les Vivants. J’ai enfin dans ma vie acquis dans ma palette d’émotions des joies pérennes qui m’éclairent chaleureusement dans le palais pâle de mes souvenirs.
Ils sont des torches posés sur les parois froides de mon palace qui illuminent les fresques de mes souvenirs.
Je deviens doucement un.e passagèr.e actif.ve du voyage. Je n’ai toujours pas parlé au capitaine mais j’entend parfois son commandement. Je commente doucement les directions dans lesquels mon épopée m’amène. Je risque même parfois un petit œil timide sur l’horizon.
Je ne suis plus figée dans ma cabine à apprécier compter les carreaux de mon plafond. J’ai enfin, je le pense après tant de mois allongés, ouvert la porte et je commence craintive à visiter le couloir.
Je ne sais pas encore quoi penser. J’ai appris à faire confiance aux jambes qui me portent malgré l’usure. Je n’ai plus peur du voyage.

Même si la fin est un soulagement car enfin il n’y a plus à se questionner. La curiosité des paysages et les originalités des autres passager.ers m’entraîne à écouter le murmure du temps qui passe.
Quand arrive le soir, j’entre dans ma cabine. Au-delà de la vibration des vagues, j’entends le tambourin des âmes qui ont peur. Dans le silence des angoisses raisonne le cœur qui bat le doute.
Je ne crains plus la peur car enfin je la regarde.


La fin arrivera peut-être.

J’ai le temps.


J’ai à vivre.


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