Envie de crier la fin des temps.
Envie de fermer le livre une bonne fois pour toute.
Envie de cesser de chanter les même chansons.
Envie d’éclater les parois de mes murs pour voir les champs que j’ai pu voir au loin. Envie de faire un pas pour toucher ce que je voudrais connaitre.
Depuis plusieurs mois, mes yeux ont dépassé la pénombre. J’ai commencé à distinguer au travers de la buée des formes intrigantes. Elle me regardent mais ne sont pas hostiles. Elles semblent même colorés. Elles dansent un peu. Elles semblent tendre leur bras pour m’amener à leur coté. Ce ne sont pas des sirènes ou des chants de brume. Mais une invitation joyeuse.
Je sais aujourd’hui où sont les arbres, où est le sol, où sont les oiseaux … Je reconnais le haut du bas, je sais quand cracher et quand partir. Je n’ai plus peur du demi tour et du « et si on allait par là ».
Je n’ai plus la crainte qui m’empêchait de respirer.
Je prends une nouvelle bouffée d’air. J’entrouvre la bouche. Elle ne grince plus. La boue qui la recouvrait n’est plus visqueuse. Elle a séchée. Je peux ouvrir grand mes lèvres. Ma mâchoire ne craque pas. Mes muscles répondent. Les molécules d’oxygène pénètrent ma gorge. Je les sens descendre dans ma trachée, mes branchies et mes poumons. Elles ne me brulent plus. Je ne sens plus la douleur d’exister. Je regarde mes mains. L’usure qui me semblait pourtant éternelle semble s’adoucir. Je touche mon visage. Mes doigts sont lisses et glissent sur ma peau.
J’existe sans crier à l’injustice de vivre.
Je vois mes anciennes tortures subies comme des souvenirs écarlates. Ils s’éloignent. Je peux enfin toucher l’herbe et ne plus voir le sang des guerres passés me traverser. Je n’ai plus dans mes narines la poudre noire qui m’empêchait de regarder les fleurs sans penser aux monstres qui avaient piétinés son sol. Je n’hurle plus quand tétanisé par le monde je me penche un peu pour voir.
Quand mes yeux se retournent vers là où j’ai habité si longtemps. Je ne vois plus les ruines. Je ne vois plus l’oubli et la solitude dans laquelle j’ai plongée
Je vois le lac. Je vois l’herbe tendre vers laquelle je me suis tant reposé. Je vois la poussière où je me suis figée sans éclater en sanglot. Je vois ma petite expérience et l’histoire de ce que j’ai à raconter :
Je hais le monde. Je le vomis de mes tripes pour ce qu’il fait à celleux qui se lèvent en quête de nuage. Mais – et ce depuis plusieurs semaines – je trouve des petits cumulus pousser ci et là.
Je hais le monde car il fait évaporer nos nuages. Il les rend moite. Il les mesure pour en faire des règles d’arithmétique et des principes. Il les fait évaporer dans le silence de l’ignorance. Il assèche la pupille. Il durcit les cœurs qui jusqu’alors s’empourprait à la moindre couleur.
Pourtant depuis plusieurs jours, à force de quitter ces mondes qui veulent m’assoiffer. Je repère dans la senteur des coins reculés des endroits où les nuages ne disparaissent jamais.
Ils apparaissent dans le creux d’un vallon peu exploré. Ils apparaissent dans un sourire éphémère, une caresse effleurée. Ils s’étalent dans ce que les humain.es voient dans les bordures des cartes postales et dans les yeux humides. Ils s’étendent dans les frottements de peaux et les respirations courtes. Ils se propagent dans les cœurs qui s’entent et dans les regards qui observent. Ils miroitent dans les pupilles de celleux qui contemplent. Ils prennent leur envol dans les corps qui le temps d’un temps s’arrêtent pour imaginer.
Ils se dispersent dans les rues joyeuses et les soupirs secrets. Ils s’étendent dans la brume des regards échangés.
Ils se renversent quand on ouvre le placard des couleurs disparues.
Alors depuis, j’apprends à m’asseoir.
Je ne cours plus. Je n’ai plus à survivre.
J’ai à m’assoir, regarder et voir tout ces nuages qui poussent dans toute les parcelles du monde
Je n’ai plus peur.
J’imagine.
Je n’ai plus peur.