Toile


Du fil de ma petite expérience à entendre les confessions de mes ami.es, de mes semblables, de mes contraires. Je crois avoir remarqué une similarité. Une similarité qui creuse aussi ma perception car comme toustes, je suis humain.

 Nous aimons nous raconter des histoires, des fables aux noms de la réalité. Nous simplifions la complexité du réel par des mots simples. Nous figeons la réalité dans des théorèmes et des paraboles. Nous appelons solution ce qui est fuite. Nous nous enfermons dans une bouteille pour ne pas apprendre à nager pour se laisser porter au travers de ce verre déformant.
Nous parlons des gens comme si nous les connaissions, nous parlons du monde comme si nous le touchions, nous parlons des autres comme on parle de soi. Nos vérités se filtrent dans des concepts sans marque de vie et le monde qui est gris devient noir ou blanc. Il devient solution simple et opinions. Il devient débat et batailles. Il devient guerre et domination.
Dans l’infime étrange flux de l’univers nous tranchons ce qui est et ce qui n’est pas. Nous trions ce qui sera et ce qui doit être pour ne pas voir qu’entre les lignes « tout » et « rien » se mélangent. Dans les rues nous créons des monstres pour raconter ensuite des fables à celleux qui ne sortent plus.

 Lorsque ce fil avec lequel nous tissons le réel se casse, nous le remplaçons par des manges-mots : par liberté, force, grandeur, courage, velléité, lâcheté, vigueur, réalité, objectivité, mal, bien, vrai, absolu. Ils permettent d’éviter de voir la cassure entre ce qui est et ce que nous savons.
Dans la limite de ce que nous sommes nous tissons des toiles pour en faire une carte et nous la nommons réalité. Quand perdu dans nos sens nous errons. Ce tissu peint nous fait voguer sur la mer-vie. Il nous donne un cap vers où se figer, vers où sombrer. Si la nuit est sombre. Nous levons les yeux au ciel pour voir grossièrement dessiné ces étoiles. Elles nous permettent de dire « ce qui est » car ce qui est ne se discute pas. Nous retrouvons un sens et reprenons notre navigation.
Si par hasard un autre vient et nous parle de ses étoiles, nous l’appelons menteur car « faut bien dire ce qui est ».

 Au lieu de lui dire « et toi qu’est-ce que tu vois? Nous lui disons « eh toi, qu’est-ce que tu dis là ? »

 Et nous le jetons par dessus bord pour ne pas avoir à redessiner notre carte du ciel. Nous opposons nos toiles. Nous nous battons pour savoir laquelle est la plus vraie et juste sans voir que la peinture qui les dessines ont les même pigments.

 Parfois je m’arrête de regarder mes étoiles. Je massois en tailleur dans ma petite barque faite de bric et de broc loin du remous causé par les autres barques. Je tends mes bras. Avec mes petits doigts qui n’attrapent en général pas grand chose j’essaye d’agripper cette toile. Qui-y-a t’il derrière? Derrière nos artifices? Derrières nos mascarades?

Je crois qu’il y à le monde, la crasse et les levés de soleil. Les égorgements et les montagnes. L’entraide et les abandons. L’horreur et… l’univers…
Peut-être que la paix réside dans le déchirement de nos toiles…
Peut-être que le calme nage dans le ballotement de nos doutes.
Peut-être que les étoiles existent…
Je ne sais pas…
J’entend et je regarde.
Je verrais bien.


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