Ce soir j’ai dans mes mots l’amertume de celui qui n’a pas crié à temps. Je suis resté muet sans avoir su me retirer. J’aurais aimé trouver ce qu’on nomme courage pour arrêter ce monde qui entrait par ma serrure. Je n’ai pas su trouver les mots. J’ai perdu la voie. J’ai dû justifier au yeux des jugeant mes actions. Je suis devenu un pantin articulé par la dureté de leur mains rigides.
Ils sont aveugles. Je suis muet.
Ils frappent sans voir, je vois sans fuir.
J’ai voulu dire, ils m’ont stoppé.
Les faiseurs de lumière sont partout. Ils savent. Ils posent chacun de leurs pas pour faire un grand vacarme. Ces bruits sont leurs marque. Chaque pas est pour eux la preuve de leur existence. Ils hiérarchisent ce bruit et lui donnent des noms comme « prestige », « valeur » et « utilité ». Ils s’assurent du coin de l’œil qu’ils brillent plus que les autres. Dans le tremblement de leurs mouvements, ils piétinent les faiseurs d’ombres. L’ombre est pour eu un insecte à abattre. Il est laid car il estompe la lumière qu’ils émettent. Il fait voir gris ce qu’eux veulent blanc. Si il en trouvent un, ils le bâillonnent avant de le jeter dans une fosse à oubli. Dans cette guerre perdue d’avance ils chassent car ils dominent. C’est ainsi qu’ils brillent. Ils sont des trou noirs luminescents qui aspirent nos ombres gémissantes.
Puisque tout brille pour eux, un rond est un rond et un carré un carré. Sans nuances, ils ne voient plus leur néant. Aveuglés par tout ces soleils ils ne voient pas la fissure dans le rond ni l’ondulation sur le carré. La lumière pour eux doit se glisser dans tout les coins, surtout les coins… Ils doivent être aussi blanc qu’eux. Ils doivent être identique à leurs carrés, à leurs ronds et au reste. L’ombre est un ennemi car dans l’ombre il y à le contraste.
Parfois il m’arrive de murmurer dans le fond d’un coin aussi loin que possible de tout rayon lumineux. On m’entend quand le bruit du monde s’arrête un peu. J’attends que les faiseurs de lumière aient terminé leurs croisades contre le monde de mes ombres. Dans ce tumulte permanent, je reste invisible. Séparé de tous par cette couche lumineuse, je psalmodie d’un mouvement de lèvres imprescriptible une sérénade dissonante.
Tapis dans la pénombre les genoux repliés contre moi, je chante d’une voix douce la comptine des sens. Je la souffle au plus bas pour ne pas déranger l’univers.
On ne m’approche pas ou si on m’approche on ne me remarque pas.
Quand la lumière disparaît, au travers mes murmures, j’entends d’autres ombre s’agiter elles aussi. Elles ont attendu le passage des lumières pour s’ébranler doucement.
Je les entends susurrer…
Elles chantent aussi.
Elles sont le chant des supplices. Elles sont le chant des malédictions et des complaintes. Elles sont le tremblement du changement et les explosions des vaincus.
Elles hurlent de tout leurs murmures.
Elles sont le vent.
Elles sont la vie.
Elles sont le monde.
A mon tour,
je déplie mes genoux…
je me lève.
J’ouvre les lèvres :
« J’EXISTE. »